Iles Salomon - Mélanésie

Ensembles de flûtes de Pan des ’Are ’Are

Une culture musicale d’une grande richesse

Chez les ’Are ’are, de nombreux évènements ne pouvaient se passer de l’audition de la musique d’ensemble jouée à la flûte de Pan…

Nous devons à un chercheur du CNRS, Hugo Zemp, de pouvoir aujourd’hui écouter la musique des ’Are ’are.

Ses enregistrements datent du début des années 70 ; la tradition est alors encore « pure » et maîtrisée. Ces témoignages sont donc particulièrement précieux, puisque comme ailleurs, les pratiques, la langue, les rites se sont depuis appauvris…

Cet article doit tout aux travaux de Hugo Zemp [1].

Retrouvez ici un document remarquable sur les pratiques musicales des ’Are ’are

Jeu ritualisés de flûtes de Pan

’Irisipau
Hugo Zemp a dédié son travail et les disques publiés par le CNRS à ’Irisipau, véritable mémoire musicale des ’Are ’are, aujourd’hui décédé.

Chez les ’Are ’are, de nombreux évènements ne pouvaient se passer de l’audition de la musique jouée à la flûte de Pan, laquelle était de ce fait largement impliquée dans les rituels. Son emploi était alors codifié, pour telle cérémonie convenait tel ensemble…

Plusieurs rituels ont été abandonnés, le plus souvent sous la pression de missionaires bien-pensants et omniscients [2], comme par exemple la destruction rituelle de cases et de jardins (rituels de « renouveau » associés par exemple au mariage). Aujourd’hui, pour l’ensemble des rituels des ’Are ’are de l’ile Malaita les musiciens sont immobiles, tandis que les ’Are ’are Marau de l’ile Guadalcanal n’ont conservé qu’un seul rituel pour lequel les musiciens sont en déplacement et précédés de chasseurs/danseurs.

Les gammes

Les ’Are ’are de Malatai utilisent trois gammes différentes…

La plus importante, que ce soit pour l’ampleur du répertoire ou l’association aux rituels, est une gamme équi-heptaphonique. Dans ce cas chaque octave est divisée en sept degrés égaux qui valent chacun environ 170 cents (soit les 17/20e de notre ton occidental tempéré).

Une deuxième échelle est aussi équi-heptaphonique mais elle est distribuée de façon défective sur les instruments ; chacun ne comprenant qu’une partie des degrés.

La troisième échelle utilisée est pentaphonique et ne comprend donc que cinq degrés par octave. Ce pentaphonique est dit anhemitonique puisqu’il ne comprend jamais de demi-tons (comme entre mi et fa ou si et do dans notre gamme occidentale). De plus les degrés sont modifiés pour reproduire certains intervalles de l’échelle équi-heptaphonique.

Pour une présentation détaillée des différents ensembles de flûte de Pan des ’Are ’are, cliquez ici.

L’ensemble ’au tahana

’uta’uta paraha
Ensemble de 4 flûtes de
Pan ’au tahana

Requis pour les évènements les plus importants, l’ensemble ’au tahana compte quatre musiciens se faisant face. Le répertoire composé pour cet ensemble est le plus important avec plus de deux cents pièces, c’est aussi le plus ancien et le plus difficile à interpréter.

Les compositions sont des polyphonies à deux voix et comportent des ornements « obligés », comme ce très surprenant intervalle de seconde joué simultanément par un même musicien.

La gamme, obligée elle aussi, est construite sur une échelle équi-heptaphonique.

L’ensemble ’au Keto

Panipani Ni ’au Wahaho
Ensemble de 6 flûtes de
Pan ’au keto

L’échelle employée est à nouveau la gamme équi-heptaphonique, mais dans le cas de l’ensemble ’au Keto, chaque flûte ne comporte pas tous les degrés de cette gamme.

Six musiciens en cercle se faisant face interprètent un répertoire polyphonique à trois voix, chacune d’elles étant doublée à l’octave.

L’ensemble ’au paina

Aamamata Na Ha’ato’o
Ensemble de 8 flûtes de
Pan ’au paina

La gamme utilisée ici est un pentatonique anhemitonique tempéré.

Les huit musiciens, se faisant face sur deux rangs, interprètent un répertoire polyphonique à deux voix, chaque voix étant déclinée sur une des quatre octaves permises par cet ensemble.

L’interprétation du répertoire pour l’ensemble ’au paina est moins strictement réglé que pour les ensembles précédents et permet que les deux voix intermédiaires ornementent le discours.

Autre licence permise à cet ensemble, on entend ici un musicien abandonner le jeu à la flûte pour chanter sa partie. C’est le signe qu’il apprécie particulièrement cette pièce.

L’ensemble ’au taka’iori ni Marau

Mani ’au ’Iro’oro
Ensemble de 10 flûtes de
Pan ’au taka’iori ni Marau

Cet ensemble n’est trouvé que dans une portion congrue du territoire ’Are ’are où la population est très liée avec les ’Are ’are Marau de l’ile Guadalcanal. Comme son nom l’indique, il est fortement inspiré par la culture des ’Are ’are Marau.

Pour cet ensemble de dix musiciens, certains étant assis et d’autres debout, les compositions sont polyphoniques à quatre parties doublées seulement une fois à l’octave.

Dix femmes dansent autour des flûtistes en rapportant une partie de percussions.

L’ensemble ’ahai (Marau)

Aamamasia
Ensemble de flûtes de
Pan ’ahai (Marau)

De nombreux points différencient la culture musicale des ’Are ’are de Marau de celle des ’Are ’are de Malatai. L’origine mythologique de l’instrument par exemple, mais aussi la facture puisque les flûtes de Pan de Marau comportent deux rangs de tuyaux, le deuxième, ouvert aux deux extrémités agissant comme un résonateur modifiant le timbre… À noter aussi que les instruments de Marau semblent moins rigoureusement accordées que ceux de Malatai et que l’échelle n’est pas si facile à préciser que pour les flûtes de Malatai…

Le mode de jeu, aussi, est très différent puisque les musiciens se placent sur deux rangs et évoluent en dansant. Par ailleurs le nombre de musiciens n’est pas déterminé et on peut entendre parfois une alternance jeu des flûtes / chant.

Une culture musicale savante !

Bien des éléments donnent à penser que nous somme en présence d’une culture savante. Ainsi, le nombre des pièces connues d’une bonne formation, et parfaitement restituées, peut dépasser une centaine pour un seul type d’évènement ! Le plus souvent, le nom du compositeur reste attaché aux œuvres. Enfin, les œuvres sont fixées, certes, non sur du papier, mais dans les mémoires.

Les ’Are ’are, par ailleurs, ont su montrer une grande créativité pour exploiter musicalement les bambous. Certes les ensemble de flûtes de Pan occupent une grande place de la vie musicale, mais d’autres instruments, flûtes, percussions, se font entendre en d’autres occasions et sont généralement joués avec une grande maîtrise.

Sur la justesse, les gammes et les tempéraments

L’occident, convaincu d’être la référence absolue en matière culturelle, siégeant au centre du seul monde qui vaille, a longtemps perçu les autres échelles musicales utilisées par les différents peuples comme étant « fausses », barbares ou primitives…

Pourtant notre tempérament égal n’est qu’un des modes possibles d’organisation des notes… Il répond précisément au besoin de l’orchestre occidental en matière de modulation et de transposition dès lors qu’on y trouve des instruments à sons fixes, comme les claviers. Ce tempérament égal, dans d’autres contexte culturels, représente cependant un véritable appauvrissement.

Heureusement, avec une vague d’ouverture sur le monde et la découverte d’autres univers musicaux, nous apprenons à ne plus porter de jugements aussi sots et vaniteux ! Certes, nous percevons l’étrangeté de ces échelles, mais nous savons aujourd’hui mieux en apprécier la saveur.

Puisse cette empathie détrôner définitivement notre condescendance !

Pour approfondir, lisez un [article rédigé par Patrick Kersalé] à partir des travaux de Hugo Zemp, ainsi qu’un article sur des [flûtes de Pan aux tuyaux ouverts aux deux extrémités], au son très caractéristique.

[1Pour aller plus loin,  Le chant du monde LDX 274 961.62  Collection Musée de l’homme - CNRS

[2Les évangélistes n’ont pas hésité à voir dans le jeu de ces ensembles instrumentaux des pratiques sataniques… Catholiques et anglicans, plus mesurés, ont introduit les instruments dans leurs propres rituels.

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