Histoire de la flûte de Pan en Roumanie

Par Patrick Kersalé

L’existence de la flûte de Pan en Roumanie daterait de plus de 2000 ans.

Détail d'un sarcophage romain

L’hypothèse de cette ancienneté est appuyée par plusieurs découvertes archéologiques dont un sarcophage d’époque romaine dans la région d’Olténie représentant un « éros » jouant de cette flûte.

Les inventions archéologiques

Une statuette en pâte d’un brun-brique à granulation et traces de peinture blanche, découverte dans les ruines d’une maison de Callatis (Mangalia) de 20.5 x 11.1 x 6.2 cm, datant du IIIe ou IIe siècle avant notre ère, représente Pan assis sur un rocher. Les cheveux séparés par une raie, laissent voir les cornes caractéristiques. Une peau de chèvre nouée sous Ie menton retombe sur le dos du dieu. Il a des pieds de bouc qu’il tient croisés. Dans la main droite, il a une syrinx à sept tuyaux et dans la gauche, la corne d’abondance.


Un oenochoe (vaisseau romain destiné à contenir du vin) en terre cuite, de couleur rougeâtre et de forme cylindrique a été découvert à Tulcea. Il date des IIe et IIIe siècles et appartient actuellement au Musée d’Histoire et d’Archéologie de Jassy. Le vaisseau est orné de bas-reliefs d’inspiration bacchique, formant deux groupes de personnages délimités par des ceps de vignes. Dans le premier groupe, Dionysos, à tête couronnée de grappes de raisins, est accompagné d’un silène et d’un satyre. Dans le second groupe, Pan, barbu, à cornes de bouc, tient à la main droite la corne d’abondance pleine de fruits, et à la main gauche, le bras parallèle au corps, la syrinx.


Deux des pierres gravées provenant de la cité romaine de Romula et datant du IIe ou IIIe siècle, faisant partie de collections particulières, représentent Pan à la syrinx. La première, nommée « Pan luttant avec la chèvre », figure le dieu fuyant vers la droite, poursuivi par I’animal dressé sur ses pieds de derrière et prêt à l’attaquer avec les cornes. Le dieu, le front ceint d’une écharpe, tend le bras droit vers l’animal, lui montrant une grappe de raisin, et tient à la main gauche une syrinx. Derrière l’animal, il y a un arbre à deux branches signifiant la forêt d’où la chèvre est sortie. La deuxième pierre gravée nommée « Faune chasseur », représente le personnage de profil à gauche, la tête couronnée de feuilles, complètement nu, tenant à la main gauche un pedum et à la main droite un lapin. A ses pieds, il y a une syrinx.


L’existence de la flûte de Pan en Roumanie est attestée au XVIe siècle dans « Invataturile lui Neagoe Basarab Catre fiul sau Téodosie » (les enseignements de Neagoe Basarab à son fils Téodosie) attribué au Prince de Wallachia (1512- 152l). Le texte original, écrit en slave, mentionne, parmi les instruments de musique que le prince aurait entendu, la « tevnita », autre nom de la flûte de Pan russe « kuvikly ».

Évolution de la flûte de Pan roumaine

A ses débuts, le naï roumain avait un nombre réduit de tuyaux, 5, 6 puis 7, et n’était connue que dans certains endroits. Le chercheur roumain Theodor Burada raconte ainsi que le naï était, au début, utilisé seulement par les ménétriers roumains des plaines de Valachie et de Moldavie. Au XVIIe siècle, le naï des ménétriers tsiganes a été présent dans presque toutes les formations instrumentales de Valachie et de Moldavie ; c’est ainsi qu’on nous les représentent dans les documents anciens, y compris sur les gravures anciennes et sur les peintures des églises. Ces formations étaient composées d’un ou deux violons, d’une cobza (luth) et d’une mandore aux sons sourds possédant des cordes en boyaux.

La nécessité d’enrichir les moyens expressifs du naï a déterminé l’augmentation du nombre des tuyaux jusqu’à 18 en Moldavie et jusqu’à 23 (et même plus) en Valachie. Après avoir connu son développement maximal dans la deuxième partie du XIXe siècle, le naï a bien failli disparaitre.

C’est peut-être grâce à un décret du Prince Alexandre Ioan Cuza (1874) qui abolit le servage des tziganes, que le naï va connaître un nouvel essor. Les musiciens ainsi libérés peuvent jouer et chanter de nouveau ici et là, pendant les fêtes des boyards. C’est alors que le naï connaît une nouvelle vogue, étant très souvent préféré par les musiciens qui réussissent peu à peu à accompagner les mélodies jouées au violon, puis à doubler ce dernier et même à le remplacer. L’histoire nous a préservé le nom de plusieurs naïstes célèbres : Mihalachi Rosu, Nastase, Muscalagiul de Botosani, T. Teodorescu de Focsani, Anastasiu Muscalagiul, Radu Ciolac, Anghelus Dinicu et bien d’autres encore.

Taraf roumain

Les anciens noms de la flûte de Pan roumaine sont « fluierar », « fluierici » et « şuieraş », noms qui survivent encore aujourd’hui dans certains endroits. Plus tard, elle fut communément appelée « muscal » et encore plus tard seulement, « naï ». L’origine orientale de ces deux noms, « nay » en persan, arabe et turc signifient « roseau ». « Nay mus » signifie flûte de Pan en persan. « Muscal », « musiqal » ou « musqal », signifient également flûte de Pan dans ces mêmes langues.

Mais qui est donc le père de la renaissance du naï roumain ?

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, le naï commença à disparaître, la Moldavie étant la première province touchée. Les instrumentistes ne se comptaient plus que sur quelques doigts.

Fanica Luca

Cependant, le plus célèbre d’entre eux, Fanica Luca (Pour écouter Fanica Luca, cliquez ici) (1894-1968) fit retentir son succès à Londres, Paris et New-York au moment même où la disparition de cet instrument était imminente. Cette époque vit naître un regain d’intérêt pour la mise en valeur de la culture populaire. Ia tâche de sauvegarde du naï fut donc confiée à Fanica Luca. Il joua tout d’abord dans I’orchestre de concert de musiques populaires de « Barbu Lautaru » et enseigna ensuite au conservatoire de Bucarest où il transmit son art à une pléiade de jeunes artistes : Damian Luca, Constantin Dobre, Radu Simion, Damian Cirlanaru, Nicolae Pîrvu, Gheorghe Zamfir, etc… A travers eux, I’art de Fanica Luca survécut, se développa et se multiplia. Par l’intermédiaire de Gheorghe Zamfir, le naï atteint aujourd’hui une réputation internationale.

Description de l’instrument moderne

Le naï roumain est une « flûte incurvée à une rangée de tuyaux en ordre décroissant unique ». L’évolution de la flûte originelle, plate, vers un instrument concave provient du fait que le folklore roumain comporte un grand nombre de pièces de virtuosité. Seul un instrument de ce type permet des traits extrêmement rapides. Contrairement à la facture des nombreux autres types de flûtes de Pan à travers le monde, Ie naï roumain possède des tuyaux collés entre-eux (fig A). Autrefois, on utilisait de la cire d’abeille, mais aujourd’hui c’est la colle qui est employée. Les matériaux utilisés pour la fabrication des tuyaux sont le bambou, le roseau et le bois foré.

Fig. A : Assemblage type d’un naï roumain
Fig. B : Exemple d’assemblage traditionnel (Amérique du Sud, Océanie…)

La base des tubes vient se loger dans une embase comportant neuf pièces de bois venant rigidifier l’ensemble. Les quelques éléments que nous venons de décrire sont des facteurs importants pour l’interprétation de pièces demandant une certaine virtuosité. En effet, la crispation du musicien sur certains traits rapides, l’exécution d’un vibrato réalisé en bougeant énergiquement la flûte sont autant d’éléments réclamant une facture instrumentale robuste. Le modèle le plus courant est composé de vingt tuyaux allant du Si 3 au Sol 5. Cependant, l’élargissement des répertoires de cet instrument nécessite aujourd’hui l’addition de tuyaux dans le registre inférieur.

L’accordage de l’instrument est réalisé à l’aide de cire d’abeille que l’on tasse au fond du tuyau et que I’on peut ôter à volonté.

Évolution de la tessiture du naï

Voici par exemple, l’échelle naturelle d’un naï de Moldavie.

Le naï de Fanica Luca était composé de 21 tuyaux ayant une longueur de 5 à 20 cm et un diamètre de 8 à 13 mm. Son échelle était la suivante :

D’après ce modèle, les naïs du populaire « Barbu Lautaru » possédaient seulement 20 tuyaux avec la tessiture suivante :

Note de Gilles.
  • Toutes ces flûtes « historiques » sont donc environ une octave plus aigu que nos flûtes de Pan ténor en do d’aujourd’hui… Cela s’explique sans doute par le fait que seuls des matériaux comme le roseau étaient disponible pour sa fabrication dans un premier temps, et que le roseau ne permet jamais la fabrication de long tuyaux…

Cet article est tiré d’un bulletin de l’association « Syrinx Academy », créée et pilotée par Patrick Kersalé. Patrick a été le tout premier en France à faire un véritable travail de recherche sur le vaste monde des flûtes de Pan.

Note de Gilles - Des modifications ont été apportées à l’occasion de la publication sur notre site, rajout de photos et de titres, corrections mineures, etc.

Sources bibliographiques :

  • Roumanian folk music : Tiberiu Alexandru (Musical Publishing house. Bucharest 1980).
  • Naïul (supplément de la revue « Musica »).
  • Vasile Nicolescu.

Dans la même rubrique…

  • Histoire de la flûte de Pan en Roumanie
  • La doina
Revenir en haut